Tatouage ou crise existentielle
Tatouage
Origine: Le mot vient du tahitien tatau, qui signifie marquer, dessiner ou frapper et dérive de l'expression « Ta-atuas »
Définition Wikipédia: Un tatouage est un dessin décoratif et/ou symbolique permanent effectué sur la peau. Le tatouage est pratiqué depuis plusieurs milliers d'années dans le monde entier. Il peut être réalisé pour des raisons symboliques, religieuses ou esthétiques. Dans plusieurs civilisations, il est même considéré comme un rite de passage à cause de la douleur endurée lors de la réalisation du motif.

Durant quinze ans le tatouage fut pour moi l'aboutissement d'un désir délaissé, rejeté à cause de croyances et de codes moraux instaurés par mon éducation. Durant quinze ans j'ai imaginé ce même motif inlassable sur le corps de mes personnages préférés que j'imaginait dans ma tête. Ces femmes qui osaient briser les règles pré établies d'une société archaïque et patriarcale. Des femmes fortes qui allaient au bout de leur idéaux, des héroïnes debout implacables. Pendant des années, elles furent tout ce que je voulais être sans jamais l'osé. Une envie refoulée, mise de coté car elle ne cadrait pas avec les codes moraux.
Jusqu'au jour où j'ai osé sur un coup de tête me tatouer, réaliser ce rêve de jeunesse pour ne pas éprouver de regrets et surtout défier les conventions, passer outre cette autorité parentale qui avait jusque là bridé mes désirs artistiques, relationnels, amoureux. Le dessin est beau, magnifique. L’expérience très agréable. Je n'ai éprouvé aucune douleur, c’était comme le passage de la mine d'un crayon sur ma peau. En moins d'une heure c'était terminé et parfait. Un projet de quinze ans avait enfin abouti.
Oui mais...
La réalisation de l'acte ne vient que plusieurs heures plus tard. Et le je panique légèrement. Je suis tatouée. Sauf que la religion ne voit pas d'un très bon œil le tatouage ou tout autre altération du corps. Plus je lis, plus l'angoisse monte. Jusque là je n'avais vu le tatouage que comme un dessin pour embellir mon corps au même titre que mes piercings. J'avais brisé cette autorité parentale et oublié tout l'aspect religieux. J'avais trahi Dieu, j'avais souillé mon corps. S’est ensuivit beaucoup de questions, de larmes et de questionnement. J'aime ce dessin et pourtant sur mon corps il me révulse, je n'ai qu'une obsession, le faire disparaître, l'arraché, comme si le fait de l'effacer aller rendre mon crime crime plus acceptable, moins lourd. Je prie Dieu ce que je n'avais fait depuis très, très longtemps, je demande l'absolution, je me repends de tout mon cœur.
Il ne me faut pas très longtemps pour comprendre que le tatouage n'est pas l'origine du problème mais le point culminant. L'angoisse en moi est présente, suffocante, je suis complètement perdue et déboussolée. Tout devient source de questionnement: Ma vie, mon absence de but, mon identité, la mort, le temps qui fil et la réalisation que je ne pourrais jamais être qui je suis vraiment tout en respectant les règles religieuses et codes inculqués depuis mon enfance et qui existaient pour régir à la fois domaine intime, mais aussi privé et familial. J'allais trahir la confiance de mes parents. Je réalisais que mon problème était à l'origine lié à cette figure parentale qui avait pris le pas sur Dieu et qui avait conditionné les limites que je n'osais dépassé. Durant toute ces années, elle fut juge et bourreau . L'ensemble de mes choix personnels s'étaient construits autour de ce visage qui influençait ma vie. Au fil des jours je me rends compte que la peur qui me paralyse est un mal être plus profond, enraciné en moi. En exécutant ce tatouage, en réalisant ce désir de jeunesse, j'avais défié l'autorité et coupé le cordon, je réalisais, que je faisais parti de cette génération d'immigré tiraillée entre deux cultures, deux monde et qui n'avait toujours pas trouvé sa place.En tant qu'adulte j'avais accompli ce que je n'avais pas pu faire avant et le ciel ne m'était pas tombé sur la tête. Tout ce dont j'avais besoin c'est que quelqu'un me dise: "ça va aller", que quelqu'un me rassure. J'avais retrouvé un chemin vers Dieu parce que j'en avais besoin. Dieu avait reprit la place qui lui revenait , de même que la figure parentale qui conditionnait jusqu'à présent une partie de ma vie n'était plus aussi importante. J'avais grandi, c'était effrayant car je perdais mes repères, mais cela m'obligeait à sortir de ma coquille dans laquelle je me confortais toutes ses années et à aller chercher mon propre bonheur, ma propre voie. L'inconnu est effrayant mais la volonté de s'affranchir en tant qu'individu a pourtant son importance, vouloir la perfection est une bataille perdue d'avance devant l'immensité de la tâche. Se conformer à toutes les règles me faisait l'effet d’anéantir mon propre esprit et de mourir lentement. Un suicide psychique et physique. Le tatouage avait fait resurgir toutes ses angoisses, ses peurs que je n'avais jamais osé affronter, les refoulant au plus profond de moi me contentant de palier ce vide en moi par des bien matériels qui avaient finis par ne plus me satisfaire.
Un gros travail psychologique est de mise. Tout d'abord sur mon estime de soi qui est bien faible et me donne une vision négative de tous les projets que je souhaite entreprendre, cette mauvaise estime de soi qui m'empêche de donner le meilleur de moi-même et qui me pousse à m'interroger: A quel moment ai-je baisser les bras et ai-je décidé d'abandonner? Je dois reprendre ma vie en main, relâcher la pression que j'avais accumulé et surtout lâcher prise. Je ne peux pas tout contrôler et certainement pas les décisions et effets de mon environnement. Tout ce que je peux faire c'est me donner une chance en allant à fond et jusqu'au bout. Enfin l'emprise toxique que la figure parentale avait sur moi devait disparaître.
Le tatouage est mon rite de passage obligatoire, l'accomplissement d'un passé refoulé, laissé de côté qui n'avait pu se réaliser. C'est la fin de mon enfance, de mes rêves et le début de mon indépendance émotionnel en tant qu'adulte, c'est tout un pan de mon passé qui se referme avec lui. Pour la première fois, j'ai fait quelque chose d’irrémédiable pour moi. En l’exécutant j'ai pu enfin réaliser pleinement mon 'adolescence avec du retard certes, mais émotionnellement je me sens grandis. Je dois apprendre à m'aimer moi-même et à m'accepter. Un parcours difficile s'annonce avec ses doutes, ses hésitations mais je me lance sur un chemin où je suis plus entière et plus sereine et où je me retrouve en tant que personne. Je ne peux être que ce que je suis avec mes croyances, mes préférences, mes idées et mes défauts. Ma relation avec Dieu est unique et privée, elle ne regarde que moi. De même nul ne peut prendre de décision à ma place, c'est à moi de diriger ma vie et d'assumer mes choix et mes responsabilités pleinement en me basant sur mes propres désirs. Je suis le capitaine de mon âme. Je n'ai pas besoin de chercher l'approbation de l'autre ou son accord au risque de me rendre malheureuse. J'écris ma propre histoire et personne ne peut l'écrire à ma place. Tout ce que je dois retenir est cette vérité: Je suis une bonne personne.
Le tatouage est pour moi un acte salvateur qui m'a empêché de ruiner le reste de ma vie. Une clé qui m'a permis de m'échapper de la prison mental et émotionnel dans laquelle je m'étais enfermée. Je n'en referais pas un second, peut-être même, ne le garderai-je pas. Je considère qu'il a accompli son rôle, sur mon corps, j'ai dû mal à l'accepter. Je trouve que mon corps est moins beau, moins visible. Ma vision d'il y a 15 ans à laquelle je me suis inconsciemment attaché à changer. Même mes vergetures sont plus agréables à regarder alors qu'après la naissance de mon premier enfant j'ai eu beaucoup de difficultés à faire le deuil de mon ventre plat et lisse. Aujourd'hui je ne veux pas avoir à faire le deuil de ma peau vierge. Ce qui était immuable 20 ans plus tôt, ne l'est plus aujourd'hui. Le retirer au laser sera coûteux en terme de temps,d'argent et douloureux physiquement mais je ne suis pas pressée. Pour me reconstruire mentalement et physiquement il me faudra du temps. J'attends ce moment où je serais prêtre à rendre mon rêve réel.
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